LES DEUX RIVES

Dans sa décision 36 COM 8B.18 qui a inscrit Rabat sur la Liste du patrimoine mondial, le comité du Patrimoine mondial de l'UNESCO stipulait ceci : "...il est nécessaire de veiller à l’impact des grands travaux envisagés extérieurement au bien, notamment à la vue sur le bien et sur le Bouregreg depuis le site proéminent de la qasba." On peut légitimement se poser la question de savoir si cette préconisation sera respectée. Certes lorsque la décision a été émise en 2012, les travaux de Bab Al Bahr, toute au moins la 1ère tranche, la barre d'immeubles en front de Bouregreg, était déjà achevée, mais la 2ème tranche n'a pas encore démarré... Du haut de l'hôtel Golden Tulip Farah, il n'est en tout cas plus possible désormais d'apercevoir les murailles de Salé ni Bab Misra !  Les immeubles de Bab Al Bahr, s'ils bouchent le point de vue, ne sont pourtant pas inesthétiques... Bab Al Bahr est une réalisation d'Al Maabar d'Abou Dabi. D'énormes capitaux ont été engagés.  La situation de Rabat et Salé est atypique dans le monde : en règle générale, un fleuve sépare deux bourgs d'une même ville, et la population s'établit de part et d'autre. Ici, on a deux villes complètement différentes qui ont cohabité et se sont même faits la guerre, sans jamais chercher à se réunifier, car même du temps de la république éphèmère des corsaires, les deux villes avaient leur propre administration.  Les historiens s'accordent sur le fait que ce sont les Morisques d'Espagne chassés par Philippe III en 1609 qui ont permis la renaissance de Rabat. Les Morisques ou Mores d'Epagne étaient les musulmans d'Espagne convertis au catholicisme contre leur gré.  Mais pourquoi, ces Morisques ont-ils choisi Salé en 1609 ?  En fait, ils n'étaient pas les premiers Morisques à s'établirent à Salé. Les premières vagues de l’immigration « andalouse » remontent du temps des Almohades, après un décret du calife Ar-Rashîd en 1239 qui autorisa les habitants de la région de Valence et du Levant espagnol à s’installer dans la ville de Rabat. Ensuite en 1502, lors du début de la reconquista (reconquête des royaumes musulmans de la péninsule Ibérique par les souverains chrétiens), il y eut une 1ère vague d'immigration à Salé de musulmans expulsés, mais bien entendu en moins grand nombre qu'en 1609. 
Le Bouregreg dans sa partie la plus étroite et les immeubles de Bab Al Bahr. Les Hornacheros,  réfugiés  en  provenance  de la petite ville d'Hornacho en Estrémadure,  furent  les  premiers  à s'installer  sur  la  rive  gauche du Bouregreg et non pas à Salé (le vieux) rive droite. Avant même l’édit de proscription, c'est à dire à partir de 1604, ils se sont établis à Salé le neuf, dans la kasbah. Les Hornacheros constituent la noblesse mauresque, ils sont peu nombreux (3000 environ) mais riches et parlent l'arabe. Ils ont obtenu du roi d'Espagne Philippe II le droit de porter les armes. Le sultan Moulay Zidan les autorise à s'installer à Salé estimant que leur fortune contribuera au développement de la ville et au renforcement de sa défense contre les Espagnols. Les Slaouis, eux, ne les virent pas arriver d'un bon oeil,  ils restaient les "chrétiens" de Castille. A partir de 1609 jusqu'en 1614, d'autres Morisques ou Andalous sont venus les rejoindre, mais ceux-là étaient absolument démunis car privés de leurs biens avant leur expulsion. Ils restèrent longtemps sous la dépendance des Hornacheros.  Sur cette vue "écrasée" on distingue bien les deux débarcadères et les deux digues qui servent à contenir les sables de la rive droite de Salé afin qu'ils n'obstruent pas le chenal.  Les barcassiers du Bouregreg ont longtemps été le seul moyen de transport mais surtout le seul lien entre les deux cités. Il n'y avait pas de pont, les passerelles réalisées au cours des siècles ont été régulièrement emportées par les crues du Bouregreg, et le bac à vapeur a disparu à la fin des années 1930.  Ces barcassiers ont repris du service dès  la fin des travaux d'aménagement du Bouregreg, mais pour les seuls nostalgiques, le tramway a bien contribué à leur baisse d'activité.  Le terme de barcassier est cependant désormais galvaudé, car les vrais barcassiers étaient ceux qui franchissaient la "barre" pour récupérer le chargement des navires qui ne pouvaient s'engager dans le chenal. Ils étaient alors essentiels pour la vie économique de Rabat et Salé. A l'heure actuelle, on peut simplement les appeler "bateliers".  A l'emplacement du ponton de gauche se trouvaient les baraques des restaurants et clubs de voile qui avaient elles-mêmes remplacé les installations de construction navale au début des année 70. 
Au 1er plan, le club de jet-ski où S.M. le roi Mohammed VI aurait (dit-on) ses habitudes. En face, les marais ont été reconstitués. Ils sont un lieu d'étape idéal pour les nombreuses espèces d'oiseaux migrateurs qui longent les côtes africaines.  Parmi les nombreux saints des deux cités de Rabat et Salé, le seul qui soit encore vénéré, c'est Sidi El Aj Ben Acher dont le marabout est situé de l'autre côté de l'estuaire près du borj. Le marabout que l'on voit ici à droite avec sont toit vert, c'est celui de  Sidi El Haj Abdallah El Yabouri, patron de la rade et des barcassiers. Chaque fois qu'ils franchissaient  la barre très dangereuse, les marins l'imploraient avec ferveur.  Les deux saints ont vécu à la même époque.  Abdellah El Yabouri était d’origine andalouse.  Il a vécu au temps d’Abou Inan de la dynastie des Mérinides vers 1300. Il n'y a plus de moussem en l'honneur du saint, mais il a encore de nombreux fidèles qui recherchent auprès de son tombeau un peu d'espoir et beaucoup de baraka. Le mercredi est le jour de la «ziayara» (visite) et en période estivale, on peut voir quelques marocains, notamment les émigrés, qui viennent y retrouver les coutumes de leurs ancêtres. Près du marabout de El Yabouri il y a aussi celui de Sidi Mimoun, et tout à côté la carcasse d'un vieux canon et le rite du citron et du henné que de vieilles femmes vendeuses de henné vous inviteront à pratiquer.  La capitainerie du port de pêche de Salé est achevée. On voit bien la digue latérale qui permet (en principe) de contenir la poussée des sables vers le chenal.  Les falaises du Mellah ont été sécurisées et au pied de celles-ci se trouvent désormais un parking. Autrefois, le borj Lalla Qadya (à gauche) était dans l'eau et servait à surveiller l'entrée de la médina par le fleuve. Il y avait là un rempart fluvial qui est désormais éloigné d'une centaine de mètres du rivage. 
La marina Bouregreg de Rabat Salé. Elle peut accueillir des bateaux de 30 mètres, ce qui en fait une escale indispensable pour les bateaux naviguant vers les côtes Africaines. Sa réalisation a débuté en 2006 et a été achevée en 2008 après deux bonnes années de travaux. Pour l'instant, 240 anneaux, mais une extension prochaine est envisagée compte tenu du succès de la marina. La marina est le prolongement naturel des quais de Rabat, elle constitue bien une oeuvre commune des deux cités.  Le pont Hassan II de l'architecte Mimram est une réalisation magnifique qui sied bien au décor majestueux du Bouregreg, de la Tour Hassan et de Bab Misra.  Les teintes des immeubles de Bab Al Bahr (à gauche) se confondent parfaitement avec celles pourtant plus anciennes des immeubles de Salé (de face) : bien vu, l'architecte !  Deux pontons accueillent les barques des pêcheurs de Rabat à l'endroit où se trouvaient les anciennes installations portuaires de Rabat. 
Cette photo date de 2008, les quais de Rabat sont achevés mais l'aménagement de la rive droite n'est pas encore réalisé. Sur le débarcadère, on attend l'arrivée des barques des pêcheurs.  Photo prise après aménagement des quais de Rabat et de la rive droite de Salé. Le ponton sert désormais de débarcadère de départ pour la rive droite de Salé, vers le débarcadère de Salé en face.  Image apaisante du Bouregreg telle qu'on l'aime !  Bab Al Bahr a rapproché un peu plus Salé de Rabat. L'objectif premier du plan d'aménagement du Bourgegreg est sans doute en passe d'être atteint : "aménager un espace entre Rabat et Salé pour en faire un lieu de cohésion et d’intégration des deux villes". 
Les culées et piles de l'ancien pont Moulay Hassan ouvert en 1957 à la circulation entre les deux rives. Ce pont complétement saturé avait mal vécu. Il était devenu dangereux, mais il mérite un hommage pour service rendu. Il a été, à sa manière, le 1er vecteur de cohésion entre les deux cités.  La promenade de l'avenue Bouregreg le long de l'esplanade de la Tour Hassan. Le plus beau panorama sur Salé, la marina, les Oudayas, et le Bourgreg.  Conçu par l'architecte français Marc Mimram, c'est une femme, Nadia El Kassimi, diplômée de l'École Mohammadia d'ingénieurs, qui en a supervisé sa réalisation. Le coût global de sa réalisation (voies d'accès incluses) a été de 1,2 milliard de dirhams. Il a été inauguré par le roi Mohammed VI le 18 mai 2011, en même temps que le tramway de Rabat-Salé, qui l'emprunte sur une voie dédiée. Pont, et tramway, sont partie intégrante avec le tunnel des Oudayas du volet « transport » de l'aménagement de la vallée du Bouregreg. D'une longueur de 1,215 km, d'une largeur de 46 m et d'une hauteur de 12,8 m, le pont Hassan-II est composé de trois tabliers : l'un supporte la plateforme du tramway et les voies piétonnes, les deux autres sont dédiés à la circulation automobile avec trois voies dans chaque sens.  Le pont Hassan II a été construit à côté de l'ancien pont quelques mètres en amont. 
Un des objectifs du plan d'aménagement du Bouregreg était le suivant : "Sauvegarder le milieu écologique de manière durable par des mesures plurielles et multiformes au niveau de l’environnement marin, la faune et la flore, en éradiquant à jamais les points de nuisance et les sources de pollution". Ce point essentiel est en passe d'être gagné.  Le Dhow, restaurant à quai, construit en bois rappelle le passé glorieux des corsaires de Rabat, époque où Rabat était devenue la terreur des navires européens.  tour-hassan-mausolee-golden-tulip-farah-mellah  Tour Hassan, pont Moulay Hassan, tramway, aucune incohérence dans ce paysage urbain ! 
Le tramway a contribué au resserrement des liens entre les deux cités de Rabat et Salé.  Les pêcheurs de Rabat ont leur propre ponton et débarcadère.  Les deux jetées transversales en face des Oudayas devraient éviter l'ensablement trop rapide du chenal du Bouregreg.  kasbah-oudayas-depuis-rive-bouregreg-sale 
Voici la nouvelle configuration des deux rives après les travaux sur les deux rives du Bouregreg.  Cette vue est la plus spectaculaire de l'aménagement de l'estuaire du Bouregreg. L'entrée du nouveau port de pêche de Salé se fait presque au bout de la digue de droite, et permet ainsi par un chenal en forme d'escargot d'éviter les effets de la houle. L'entrée et la sortie du port sont ainsi facilités même par mauvais temps. Le port de Salé n'est qu'un port de pêche accessibles seulement aux barques.  Cette barque a probablement débarqué le produit de sa pêche au port de Salé et rentre vers son ponton sur les quais. La couleur bleue du Bouregreg est bien naturelle.  L'aménagement du Bouregreg est ici achevé, et la vie reprend enfin ses droits. 
Le mérite des immeubles de Bab el Bahr est peut-être celui d'avoir un peu plus rapproché physiquement Rabat et Salé dont les espaces urbains sont désormais espacés d'une centaine de mètres tout au plus.  Le Bouregreg offre désormais sur toute sa longueur un panorama magnifique.  squala cimetiere chouada sale bouregreg